Il y a quelque temps, j’avais fait l’acquisition du livre écrit par le commandant Zinovi Pechkoff.

Ce livre avait été achevé d’être imprimé en juillet 1927, avant la crise mondiale de 1929 et avant le fabuleux centenaire de la création de la Légion à Sidi-Bel-Abbès. Il parlait de l’aventure légionnaire au Maroc racontée par le commandant Pechkoff qui était un de ces officiers capables selon ses propres expressions : « de relever les « humiliés » et les « offensés », de regarder passer avec émotion ces figures à la fois superbes et brutales de héros au passé tumultueux. On y sent comment tous comprennent au bout de peu de temps la grandeur de l’œuvre à laquelle ils sont associés. »

Avec le recul des ans, relire ces écrits est émouvant. Au Maroc, très peu de traces restent de la présence de la Légion, mais tous ceux qui ont séjourné disent être très attachés à ce pays et aux « indigènes » (personne née dans le pays qu’elle habite), tous sont unaniment, ils n’ont pas le même sentiment concernant la Tunisie et l’Algérie.

Je livre ici à votre appréciation l’avant-propos écrit par Zinovi Pechkoff qui amorce la lecture de ce livre exceptionnel écrit par un grand soldat qui termina sa carrière d’étranger au service de la France,  Général et ambassadeur de France.

Il fit inscrire sur sa tombe : « légionnaire Zinovi Pechkoff » !

« L’été de 1925 me trouva à l’hôpital militaire de Rabat où j’attendais la guérison d’une blessure au pied gauche reçue en combattant les Riffains.

J’eus le loisir de méditer et d’évoquer mes années de service au Maroc dans la Légion étrangère.

Je pensai alors que j’avais un devoir vis-à-vis de ces hommes dont le sort avait été le mien durant plusieurs années et dont je venais de quitter les rangs. Je dois un hommage à la grandeur ignorée de ces soldats de fortune, ces travailleurs nomades qui, sous le soleil d’Afrique, accomplissent une tâche innombrable et dure. Ils auraient le droit de dire, comme les soldats romains : « Nous marchons et la route nous suit », car là où des pistes étaient à peine tracées dans la montagne, ils ont établi, entre deux combats, les chemins qui ouvrent à l’indigène son propre pays. Toujours guerriers, mais tour à tour mineurs, terrassiers, maçons, charpentiers, ils sont les pionniers dont le travail et les sacrifices ont permis à d’autres hommes de vivre heureux et paisibles dans cette lointaine contrée. C’est à l’abri des postes qu’ils ont construits et où ils veillent, que la civilisation s’est développée au Maroc.

Ils sont simples, ils sont modestes dans la Légion étrangère. Ils ne demandent pas qu’on récompense leurs services. Ils ne cherchent pas la gloire. Mais leur enthousiasme, leurs efforts magnifiques, l‘admirable cœur qu’ils mettent dans tout ce qu’ils font, ne peuvent rester sans témoignage de la part de ceux qui les ont vus à l’œuvre. Les légionnaires ne pensent pas qu’ils sacrifient leur vie en héros. Ils ne se prennent pas pour des martyrs. Ils vont de l’avant et, s’ils meurent, ils meurent avec joie.

Les tombes de ces héros inconnus sont perdues au milieu du désert ou en pleine montagne. Parfois, les noms ont disparu des croix de bois. Le soleil et le vent les ont emportés. Personne ne saura quels étaient les hommes qui gisent là et personne ne se penchera sur ces tombes.

Je n’oublierai jamais un légionnaire de ma compagnie. Pas une personnalité extraordinaire, pas une figure marquante : simplement un homme parmi des milliers d’autres. C’était un grand et gros allemand, peut-être un Autrichien… Je ne sais au juste il s’appelait Herman. Je le vis étendu sur le bord du chemin qui menait aux positions assiégées. Les hommes s’élançaient à l’attaque. Je m’arrêtai auprès de lui. Il avait été touché deux fois. De son ventre déchiré, les intestins s’échappaient. Plongeant ses yeux dans les miens, il dit : « Etes-vous content de moi ? » Pauvre garço au grand cœur. Si j’étais content de lui !

C’est au souvenir d’hommes tels que lui que je dédie ce récit de leurs peins, de leurs enthousiasmes, de leur travail et de leurs ^plaisirs ; de tout ce qu’ils sont appelés à faire durant leurs cinq années de service. Cinq années que beaucoup prolongent jusqu’à dix et quinze parce que la Légion devient la partie essentielle de leur vie. C’est leur vie et ils ne peuvent plus trouver de bonheur ailleurs.

Sur le drapeau de l’Armée Française, deux mots sont écrits : Honneur et Patrie. Sur  le drapeau de la Légion étrangère on lit aussi deux mots : Honneur et Fidélité. Ces deux mots expriment l’esprit de la Légion. »