L’AUTO-MITRAILLEUSE M8

Il y a quelques années je suis tombé sur la photo ci-dessous et je me rappelle avoir été surpris de voir que des légionnaires du 2e REI en Algérie utilisait ce type de véhicule. C’est très certainement ma naïveté et ma méconnaissance qui me poussait à penser que ce régiment n’utilisa des blindés qu’à l’heure de la mise en service du VAB[1]. J’ai cru tout d’abord à une erreur, pensant que c’était des personnels du REC mais non il s’agissait bien de cadres et légionnaires du 2e REI et en l’occurrence de la 3e compagnie portée en 1966, en train de franchir un oued.

Regardons donc de plus près ce véhicule que certains de nos anciens connaissent.

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© 2e REI

GENÈSE

En 1940, à la suite des résultats obtenus par les blindés allemands pendant la campagne de France, l’armée américaine fait de la lutte antichar un élément clé de sa doctrine et crée un commandement spécifique dédié aux chasseurs de chars[2].

Elle cherche alors à se procurer un canon antichar mobile, mais le premier véhicule réalisé, le M6 Gun Motor Carriage, se révèle peu satisfaisant.

Il s’en suit un appel d’offres pour un chasseur de char léger, dont l’aspect est déjà défini dans les grandes lignes : un camion 6x4 disposant d’une tourelle armée d’un canon de 37 mm et d’une mitrailleuse de 7,62 mm, une autre mitrailleuse de même calibre en proue et un blindage capable de résister à des balles de 12,7 mm à l’avant et 7,62 mm sur les côtés, pour un poids maximal de cinq tonnes.

Dodge WC55 37mm gun motor carriage M6

Dodge WC55 37mm gun motor carriage M6

Trois offres sont retenues pour la poursuite du développement : d’abord le T22 de Ford et le T23 de Fargo[3], une filiale de Chrysler en octobre 1941, puis, le 23 janvier 1942, le T43, renommé ultérieurement T21, de Studebaker.

Les Américains réalisent cependant à cette date que le canon de 37 mm n’est pas adapté au combat contre les chars modernes et le programme est réorienté vers la production d’une automitrailleuse de reconnaissance à la place d’un chasseur de char léger. Ford est le premier à livrer un prototype.

L’urgence du besoin étant avérée et après de premiers essais satisfaisants du modèle Ford il est accepté sans attendre les essais des modèles de ses concurrents.

Les tests ayant toutefois mis en évidence un certain nombre de défauts, une nouvelle version est mise au point dans les mois qui suivent, celle-ci prenant le 22 juin 1942 la désignation officielle de Light Armored Car M8.

Malgré des réticences de la cavalerie et de l’arme blindée le gouvernement américain impose le M8 et en commande 5 000 exemplaires avant même la fin des essais. En cours de production des problèmes récurrents au niveau des suspensions amènent les ingénieurs à revoir leur copie.

Les concurrents de Ford ne baissent pas les bras et proposent des versions jugées supérieures au M8 mais l’armée n’en commande aucunes jugeant ne pas en avoir besoin. La production du M8 prend fin en juin 1945 après que 8 634 unités ont été assemblées

 

LE M8 DANS LES CONFLITS

Seconde guerre mondiale

Le baptême du feu des M8 eut lieu en 1943 en Italie. Sur les fronts européens, il était cantonné à des rôles de reconnaissance et en Extrême-Orient, comme engin antichar.

En fonction des accords signés, 1 000 unités furent livrées au Royaume-Uni, à la France et au Brésil.

Les équipages le trouvaient rapide, fiable (après résolution des ennuis mécaniques de jeunesse) et suffisamment blindé et armé pour les missions de reconnaissance. Toutefois, ses médiocres capacités en tout-terrain lui étaient reprochées. Généralement, les M8 participèrent aussi en grand nombre à des missions de soutien d’infanterie où son faible blindage le handicapait fortement.

Après le second conflit mondial

Après la fin de la guerre, les M8 servent à assurer les missions de police dans la zone d’occupation américaine en Allemagne, ainsi que pour des tâches similaires au Japon et en Corée. Lorsque la guerre de Corée éclate en 1950, quelques dizaines de M8 sont en service dans l’armée de la Corée du Sud, dont il s’agit du seul véhicule blindé. Les Américains utilisent également de manière limitée les M8, qui sont alors encore employés par les unités de reconnaissance des divisions d’infanterie.

C’est toutefois la France qui se révèle être le plus gros utilisateur du M8 dans les décennies suivant la Seconde Guerre mondiale. Le véhicule est employé en grande quantité au sein des Groupes d’escadrons de reconnaissance (GER) et de la gendarmerie prévôtale pendant la guerre d’Indochine, au point que plusieurs centaines d’exemplaires supplémentaires sont achetés aux États-Unis. Le véhicule est également utilisé pendant la guerre d’Algérie. Il ne commence à être retiré du service au profit de l’Engin blindé de reconnaissance (EBR) qu’en 1956.

L’armée vietnamienne récupère une partie des engins français en 1954 et les utilise pendant la guerre du Viêt Nam, des exemplaires supplémentaires étant encore fournis par les États-Unis13. La disponibilité et le faible coût du M8 l’amènent enfin à entrer dans l’inventaire des armées de nombreux pays dans le monde entier dans les années 1960 et 1970. Il se retrouve ainsi souvent dans des conflits de basse intensité et des guerres civiles, notamment en Afrique et d’Amérique du Sud15. Le M8 est encore en service à la fin des années 1990, principalement dans des unités de police ; son usage semble toutefois avoir pris fin au cours des années 2000

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AM-M8 du 1er REC en Algérie © Facebook – juju Leclerc

SES CARACTERISTIQUES

Comme nous l’avons dit son blindage est faible allant de 3mm (sous la coque) à 19 mm (tourelle et face avant de la coque). Suite à sa vulnérabilité face aux mines le blindage plancher sera augmenté en fin de l’année 1944.

L’armement principal du M8 est un canon M6 de 37 mm disposé en tourelle et couplé à un viseur télescopique. Doté de 80 obus, 16 étaient disponibles en tourelle. Une mitrailleuse coaxiale de 12,7mm[4].

Pesant près de 8 tonnes en ordre de combat il pouvait atteindre la vitesse de 89 km/h. Muni d’un réservoir d’essence de 212 l son autonomie était d’environ 550 kms.

SES DIFFÉRENTES VERSIONS

Le T26 et le T20 M20

Parmi celles-ci se trouvent notamment le véhicule blindé de commandement T26 et le transport de troupe T20. Prenant la dénomination unique de M20[5], il se présente sous la forme d’un M8 sans tourelle, le dessus de la caisse étant entièrement ouvert, le bord de celle-ci étant simplement surélevé par un parapet. Cette configuration lui permet d’embarquer de cinq à sept hommes assis, ou environ 1 360 kg de matériel une fois les sièges retirés.

M20 armoured car

Le T69 multiple guns motor carriage

Une troisième version est prévue dès décembre 1942 pour remplir le rôle de véhicule anti-aérien. Le T69 est ainsi un M8 dont la tourelle d’origine est remplacée par une tourelle électrique, armée de quatre mitrailleuses M2 de 12,7 mm. Les essais ne fournissent cependant pas les résultats escomptés et il ne sera pas produit.

 

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LES COMPAGNIES PORTÉES – naissance et montée en puissance

Entre novembre 1954 et janvier 1955 trois compagnies portées ont été créées au sein du 1er REI, Mais à défaut d’officiers et de sous-officiers de Légion en Afrique du Nord[6] on ne peut pas constituer un état-major suffisant pour cette nouvelle unité. Les trois compagnies portées déjà existantes deviendront donc indépendantes.

Ce seront les 21e, 22e et 23e Compagnie portée de Légion étrangère.

Au début, les compagnies étaient équipées des half-tracks et des scout-cars américains. Mais les half-tracks et la majorité des scout-cars seront échangés contre des véhicules plus utiles dans les régions désertiques. C’est à ce moment-là qu’apparaîtra par compagnie un peloton de cinq auto-mitrailleuses AM-M8.

Le 1er février 1956, un Groupement Porté de Légion Etrangère d’Algérie (GPLEA) est créé. L’objectif du nouveau groupement est de réunir les trois compagnies portées dispersées dans l’Est de l’Algérie et qui jusqu’alors formaient corps.

Cependant, l’existence du groupement est très courte. Quelques mois plus tard, faisant face à l’indépendance du Maroc et de la Tunisie en mars 1956, le retour de toutes ses unités de l’Extrême-Orient et l’aggravation de la situation en Algérie, la Légion est encore une fois réorganisée.

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Prises d’armes du 2e REI pour les honneurs funèbres au général Leclerc © Légion étrangère

À partir du mois de septembre 1956, le 2e Étranger connaît une transformation en profondeur touchant à la fois son organisation, ses matériels et par la suite son emploi dans le conflit. Transformation lourde de conséquences et riche de promesses pour son avenir. Il est alors doté de jeeps, de Dodge 6x6 et d’automitrailleuses AM.M8, qui lui assurent une mobilité et une puissance de feu accrues.

Les bataillons disparaissent pour donner naissance aux 1re, 2e, 3e compagnies portées (CP), formant le groupe de compagnies portées n° 1 (GCP1), coiffé par un état-major tactique. Le régiment absorbe le groupement de la Légion étrangère d’Algérie, dont les 21e, 22e, 23e CP deviennent respectivement les 4e, 5e et 6e CP du 2e REI dont elles constituent le GCP2[7].

Au Maroc le même dispositif est mis en place en intégrant le Groupement Porté de Légion Etrangère du Maroc (GPLEM) au 4e REI. Elles formeront de nouveaux groupements au sein de ces deux régiments, premiers « régiments portés » de la Légion.

Au plan opérationnel, le concept d’emploi tactique d’une compagnie portée exige des cadres et de la troupe une mise en condition préalable : les enseignements tirés des premiers engagements permettent d’améliorer les délais d’intervention, le déploiement et la manœuvre au contact de l’ennemi.

Au printemps 1957, les deux groupes de compagnies portées du régiment sont désormais répartis dans le Sud-Oranais : le GCP1 avec l’état-major à Aïn Sefra et le GCP2 à Géryville, deux villes de garnison de la Légion depuis les années 1880. Les compagnies vont sillonner les pistes, surveiller la frontière toute proche et opérer dans la chaîne des Ksour, zone refuge des katibas de la willaya V, dont les effectifs sont complétés par les renforts venus du Maroc qui ont réussi à franchir le barrage électrifié.

Au début de l’année 1957, la Légion peut aligner en Algérie une dizaine de régiments et quatre Compagnies Sahariennes Portées (CSPL) au Sahara, réparties entre Ain-Sefra (1er CSPL), Laghouat (2e CSPL) et Sebha au Fezzan69 (3e CSPL), Colomb Bechar (4e CSPL).

À la fin de l’année 1957, la réorganisation des régiments est pratiquement achevée et ouvre la voie aux innovations tactiques attendues tant à Alger que parmi les officiers et la troupe, impatients d’en découdre avec les moudjahidin[8] de plus en plus entreprenants.

Les 1er et 2e REP, sont désormais des unités interarmées, avec un effectif théorique de mille deux cents hommes. Les parachutistes-légionnaires du 1er REP font l’expérience de la guerre urbaine en octobre 1957 à Alger. L’Armée de libération nationale lance la bataille des Frontières[9] avec des katibas[10] bien équipées et mieux encadrées pour forcer les barrages entre décembre 1957 et mai 1958. Le 2e REP, familiarisé avec un terrain difficile[11], est bien préparé à subir le choc.

Pendant six mois, de part et d’autre de la ligne Morice[12] (frontière algéro-tunisienne) et Pédron[13] (frontière algéro-marocaine), quatre régiments de Légion, dont les 3e et 4e REI, vont tester leurs capacités d’adaptation à cette nouvelle forme de guerre.

Une nouvelle réorganisation des unités est engagée pour les rendre plus manœuvrières. Pour la Légion, cela porte, dans un premier temps, sur les 3e et 5e REI et sur la 13e DBLE. Le modèle du Tableau d’Effectifs et Dotations 107 (TED 107) est alors abandonné. Les deux régiments d’infanterie portée, les 2e  et 4e  REI sont alors transformés en groupements de compagnies portées. Quant aux deux régiments de Cavalerie, les 1er et 2e REC, ils perçoivent un matériel moderne, les Engins blindés de Reconnaissance (EBR), plus adaptés au théâtre d’opérations dont nous reparlerons plus tard.

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Major (er) Jean-Michel HOUSSIN.

Sources :

  • Wikipédia
  • https://foreignlegion.info ;
  • Sous-officier de la légion étrangère de 1831 à nos jours – Jean-Michel Houssin – 2023 ;
  • 2e Étranger, 175 ans d’histoire d’Hommes et de Combats – Éditions Pierre de Taillac – André-Paul Comor – 2016 ;

[1] Véhicule de l’avant blindé.

[2] Le Tank Destroyer Command.

[3] Racheté par Dodge plus tard.

[4] une mitrailleuse de 7,62 mm montées sur pivot sur le toit de la tourelle dans le but d’assurer la défense antiaérienne a parfois été montée par les unités utilisatrices.

[5] les spécifications pour ces deux véhicules étaient similaires

[6] en ce temps-là, la majeure partie de la Légion reste encore en Indochine

[7] Ces structures régimentaires sont complétées par la création d’une compagnie régimentaire (CR) et d’une compagnie de base (CB). Plus tard elles prendront le nom d’État-major tactique n°1 et 2 - EMT1 et EMT2

[8] Le moudjahid (pluriel moudjahidin) est, dans l’islam, un combattant pour la foi qui s’engage dans le djihad.

[9] La bataille des Frontières, ou bataille du barrage, est l’ensemble des opérations militaires menées principalement sur la frontière algéro-tunisienne pendant la guerre d’Algérie, du 21 janvier au 28 mai 1958, par

les unités parachutistes de l’armée française, contre les tentatives de franchissement en force du barrage de la ligne Morice par les combattants algériens de l’Armée de libération nationale (ALN), la branche armée du FLN, stationnés en Tunisie. Elle fut la plus grande bataille de toute la guerre d’Algérie.

[10] La katiba (correspondant généralement à un bataillon ou à une compagnie) est le nom utilisé en français pour une unité ou un camp de combattants lors de différents conflits en Afrique du Nord ou dans le Sahel.

[11] Sa zone d’activité comprend la presqu’île de Collo, la région de Philippeville et les Aurès.

[12] La ligne Morice était une ligne de défense armée constituée pendant la guerre d’Algérie, à partir de juillet 1957. Son nom provient d’André Morice, ministre français de la Défense de cette époque. Elle courait le long de la frontière sur quatre cent soixante kilomètres, de la Méditerranée aux confins sahariens, afin de couper les combattants de l’ALN de leurs bases à l’étranger. Elle a été la première ligne de défense française durant la bataille des Frontières. Barbelée, électrifiée, minée et surveillée en permanence, elle a rempli son rôle. La ligne Morice a été partiellement doublée par la ligne Challe en 1959.

[13]À l’Ouest, la ligne Pédron s’éloignait de la frontière marocaine sur les hauts plateaux arides couverts d’une steppe d’Alfa, pour aller protéger la route et la voie ferrée reliant Oran à Colomb-Béchar dans leur traversée de l’Atlas saharien.